jeudi 5 mai 2011

Les transis-aussitôt que je me penche au-dessus d'eux, je ne vois que leur bouche qui m'aspire comme un siphon. Tous la tiennent démesurément ouverte-bouche d'asphyxié qui, ayant tout perdu, n'a plus que le vide pour offrande. Cependant, telle que je la contemple, à pleine face, et comme les yeux sont clos, elle est, par excellence, l'organe de l'expression-comme si le corps tout entier avait été construit autour d'elle et qu'elle fût, à l'oeuvre, un principe d'unité et un foyer  de rayonnement. Alors je peux voir, ici, une gueule démesurée en famine et en désir et qui ne relâche en rien son attente d'une proie. Et là, un trou d'exclamation qui a lâché son dernier cri avec son dernier mot et qui n'en est pas revenu. Et chez un autre, c'est une bouche qui continue d'appeler et supplier alors même qu'au monde tout entier il n'est plus aucune possibilité de l'entendre et que le ciel, s'il en est un, est hermétiquement clos. Et je cherche, ailleurs, une bouche d'enfant gourmand et une autre d'enfant boudeur. Je ne les ai pas encore rencontrées mais je suis sûr que je les trouverai, ainsi qu'une bouche de communiant,d'orant, de savourant car, sur le chemin de retour vers les commencements, les transis sont les plus aventurés. La mort qui les a saisis dans la fosse commune les a instantanément fixés à l'acmé de leur appétit, en plein désir d'être et de durer. On peut le voir à leurs lèvres. Ce ne sont pas les coups qui les ont tuméfiées, qui les ont ourlées dans leur part de chair sensuelle. C'est, à l'issue de l'existence, une nostalgie de fond venue s'exclamer dans ce trou pathétique où le visage se dévore avant de sombrer. Puisse l'éternité répondre au désir humain et coller enfin ses lèvres sur la suprême ouverture du coprs, en attente, qui n'a rien retenu de ce qu'elle a reçu.

in "Des transes et des transis". Claude Louis-Combet, illustration de Felix de Recondo. Ed Fata Morgana.

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